La commission Pochard, c'est la poursuite des attaques contre le service des enseignants |
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Le livre vert de la commission Pochard n'est qu'un nouvel avatar de la lutte menée contre notre statut, même s'il se déroule dans un contexte différent d'une autonomie accrue des établissements et de pouvoirs plus important donnés aux chefs d'établissements. Mais il montre que la droite ne renonce jamais à ses objectifs, que même tenue en échec, elle remet inlassablement sur le métier son ouvrage. Nous proposons dans ce numéro de revenir sur quelques repères historiques. Le texte suivant à été rédigé en grande partie à partir d'extraits du tome 2 de l'Histoire du SNES (en particulier les pages 423 à 430), écrit par Alain Dalançon, qui est sorti en octobre 2007 et est à votre disposition à l'IRHSES. |
La durée du travail est, avec le salaire, un élément essentiel de la rémunération de la force de travail. Du même coup, c'est depuis longtemps un sujet central de la lutte des classes, illustré par les combats pour sa réduction dans les différentes dimensions du temps : les 8 h/jour au début du XXe siècle, les 40 h hebdomadaires puis les 35 h, les congés payés annuels, l'abaissement de l'âge de la retraite. |
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Le temps de travail A partir du XIXe siècle, l'Etat « instituteur du social » et « régulateur de l'économie » (Définitions de Pierre Rosanvallon, L' Etat en France de 1789 à nos jours , Seuil, 1990.) a donc été conduit à définir ces différents paramètres de la durée du travail dans le secteur privé. Il ne pouvait faire moins que de le codifier également pour ses fonctionnaires. Mais la tâche n'était pas facile pour les professeurs. Leur travail comporte en effet des tâches de préparation, de corrections, de participation aux conseils de classe, jurys d'examen, difficilement quantifiables ; en outre leur service s'interrompt lors des vacances et congés scolaires, bien que leur traitement soit annuel et payé chaque mois par douzième (La fable selon laquelle les enseignants ne seraient en réalité payés que pour 10 mois de travail est ancienne et a toujours la vie dure). De sorte que le seul moyen simple de quantifier la durée du travail pour tous les enseignants a été de prendre pour base la référence de la durée de leur service effectuée en présence des élèves, au cours d'une semaine de travail normal de l'année scolaire. C'est la règle qui s'imposa à la fin du XIXe siècle dans le secondaire, codifiée par l'arrêté ministériel du 25 août 1892 et qu'on allait retrouver tout au long du siècle suivant, dans le décret du 11 février 1932 puiscelui du 6 mai 1946 et enfin dans celui du 25 mai 1950, définissant des maxima de service d'enseignement hebdomadaires.
Pourtant après 1968, alors que l'éducation à l'Ecole était devenue un débat de société, on s'accordait sur le fait que pour donner un enseignement de qualité, être disponible pour tous les élèves, s'occuper en particulier de ceux qui sont en difficulté, pour échanger dans l'équipe pédagogique, pour parler avec les élèves et leurs parents, pour conseiller leur orientation, pour se tenir au courant des évolutions des connaissances et des méthodes d'enseignement… et pour récupérer et se ressourcer, il faut du temps. De la même façon qu'il faut du temps aux élèves pour tous leurs apprentissages, qui ne sont jamais spontanés. Mais le temps vécu, même s'il est partagé, n'est pas le même pour tous, pour ceux qui enseignent et ceux qui sont enseignés. |
O. Guichard fit de la généralisation du tiers-temps pédagogique (un tiers du temps consacré aux disciplines d'éveil et à l'éducation physique) à l'école primaire une grande affaire : le cadre et la condition de la rénovation pédagogique (Voir son discours à l'ouverture du stage de Sèvres à la rentrée 1969).. Dans la même optique, il souhaitait instituer un « nouvel équilibre de la semaine scolaire ». Il remplaça le jeudi par le mercredi (A.m. du 12 mai 1972) comme journée de congé hebdomadaire, ce qui n'eut pas beaucoup de conséquence dans le second degré. Mais en s'appuyant sur les résultats d'une enquête et d'une expérience à Niort, il voulut supprimer les cours du samedi en ajoutant une autre raison, celle du « rythme de la vie familiale », qu'il fallait favoriser (C. du 10/02/1972. L'A. du 7/08/1969 avait déjà supprimé les cours du samedi après-midi.)
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Les vacances scolaires A l'heure où la durée des congés des travailleurs s'allongeait (Loi du 16 mai 1969 portant la durée légale des congés payés de 3 à 4 semaines ; réduction de 30 mn de l'horaire hebdomadaire du travail chez Renault : accord du 18/02/1971). et où l'on entrait vraiment dans la civilisation des loisirs, le gouvernement institua en 1970 la pré-rentrée et les reculs de la date des examens. Si ces mesures reçurent un accueil très favorable de la part des fédérations de parents (FPEEP et FCPE), le SNES, s'appuyant sur l'exigence d'un grand nombre de syndiqués et de S3 de mettre en évidence la « défense des vacances », demandait le « maintien du temps de vacances et de liberté des enseignants » et la « coïncidence des vacances des élèves et des maîtres ». Cette exigence fut rappelée en février 1971, à la suite de l'annonce d'une nouvelle réduction des petits congés et le recul sur le mois de juillet du calendrier des examens. Le ministère ne cachait pas ses objectifs : les dates du bac pourraient être reculées encore un peu plus et les conseils de classe de fin d'année être tous renvoyés au début juillet ; le rapport de J. Chalendar du 24 septembre 1970 avait même évoqué l'idée de « vacances à la carte » .
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[L'année serait divisée en 2 semestres, le 1 er serait consacré à un enseignement traditionnel à l'issue duquel seraient passés les examens, le 2 nd laisserait une très grande liberté, les élèves pourraient choisir de passer leurs 2 mois de vacances y compris en mai-juin, mais devraient revenir en classe en juillet ou août. Propositions si extravagantes qu'elles ne furent pas reprises mais Jean Petite alerta sur leur cohérence avec les objectifs généraux de la politique scolaire (« Vacances et dates du bac », L'US n° 6 du 18/11/1970, p. 8).]
Depuis l'arrêté du 20 juillet 1912, la durée annuelle des vacances et congés avait assez peu varié, de manière non linéaire, de 105 à 125 jours. La Ve République avait surtout innové, en fixant le calendrier une année à l'avance seulement, pour répondre aux lobbies du tourisme et aux problèmes des transports et de la circulation. Les vacances scolaires avaient été en outre définies comme « le temps d'interruption des études, soit en cours d'année scolaire soit à l'issue de celle-ci », de sorte qu'étaient clairement dissociées les vacances des élèves et celles des maîtres (En réalité cette distinction était bien plus ancienne) et qu'ainsi, il était loisible au ministre de demander aux professeurs de faire passer les examens après la fin de l'année scolaire et de venir préparer la rentrée avant le début de la suivante. Le résultat le plus clair des mesures nouvelles était la réduction brusque de la durée annuelle des vacances des enseignants de second degré de 120 jours en 1969-1970 à 106 en 1970-1971. |
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Les maxima de service
Les maxima de service des professeurs n'avaient pas diminué depuis un siècle, comme la durée légale du travail, mais qu'ils avaient connu au contraire une « détérioration continue » ( Histoire d'une détérioration », L'US n° 12 du 23/02/72, p. 26-27). Lorsque fut réalisé véritablement le cadre unique à la fin de l'année 1949 (fin des cadres normaux et supérieur), le décret de mai 1950 établit de nouveaux maxima par catégories, fixés au niveau le plus défavorable antérieur : 15 h pour les agrégés et 18 h pour les certifiés, somme de travail considérée comme constante, dont découlaient des allègements ou augmentations de service en raison de nécessités pédagogiques ou d'effectifs de classe , dont certaines étaient d'ailleurs fort anciennes. Par la suite, le SNES ne cessa de demander des modifications du décret de mai 1950 en faveur d'une définition uniforme des maxima de service à 15 h et la suppression de la clause de l'imposition de 2 h supplémentaires, qui existait déjà en 1892. A la Libération, les syndicats enseignants de la FEN, avaient manifesté des réticences à l'adoption du Statut général de la fonction publique et avaient obtenu des dérogations (Art. 2 du Statut, cf. t.1, p. 92.). Ils avaient préféré négocier avec leur ministère de tutelle le maximum de sujets, dont les services. De sorte que les catégories enseignantes bénéficiaient d'une situation dérogatoire dans le cadre du statut général mais non d'un statut particulier rassemblant dans un même texte la définition de leurs missions, droits et obligations. |
Le décret de 1950 constituait donc un obstacle à cette définition, parce qu'il ne prenait pas en compte les tâches nouvelles de métiers qui étaient d'abord ceux d'éducateurs, comme l'affirma la Commission des Sages. Dans les allées du pouvoir, on entendait même des propositions visant à « dynamiter le carcan bureaucratique », afin « d'assouplir la rigidité des nominations » et d'instituer 35 h de présence des enseignants dans les établissements (Art. paru dans l'Education du 16/12/1971, analysé dans Snes-informations du 7/01/1972), en leur décomptant de manière forfaitaire 5 h pour leur recyclage, ce qui permettrait d'atteindre la durée légale du travail de 40 h par semaine. Une autre piste de réflexion était l'annualisation des services, solution applicable dans la formation continue et l'enseignement supérieur, et pourquoi pas dans le second degré, avec des modulations. De nouvelles batailles s'annonçaient, pour conserver la notion de maxima de services hebdomadaires calculés en heures d'enseignement face aux élèves. Dans la partie de bras de fer avec le ministère sur les statuts des agrégés et certifiés, le SNES réussit à conserver le décret de 1950. Mais le ministère tint bon sur un point, en maintenant dans la rédaction des statuts : les professeurs « participent aux actions d'éducation principalement en assurant un service d'enseignement », phrase qui pourrait un jour servir à une redéfinition des services ( Le rapport au Premier ministre introduisant le projet de décret était très clair sur le sujet : « les attributions confiées aux professeurs agrégés et certifiés sont définies d'une manière très large, privilégiant la mission générale d'éducation par rapport aux fonctions d'enseignement qui ne constituent qu'un aspect de cette mission. L'évolution prévisible de l'Education nationale interdit en effet de limiter les attributions des personnels aux seules tâches d'enseignement. » ) L'augmentation de la charge de travail (réunions diverses et contacts avec les parents, sujétions plus grandes des examens dont le calendrier empiétait de plus en plus les vacances, densité du travail en raison des transformations récentes du milieu scolaire…) était cause d'une fatigue grandissante, de la multiplication des dépressions nerveuses, en même temps que les demandes de reconversion dans des emplois non directement pédagogiques voire les démissions augmentaient. O. Guichard avait proposé au SNES (lettre au SNES du 28/01/1970, L'US n° 11 du 4/02/1970)
au début de l'année 1970, de procéder à une réduction de service des professeurs principaux de seconde qu'il allait créer et d'attribuer aux lycées un contingent d'heures que les proviseurs distribueraient à titre de compensation en fonction de la nature de surcharges de travail. Cette question a été très mobilisatrice comme en témoignent les nombreuse motions académiques et d'établissement. Ce marchandage a été unanimement repoussé mais après les avancées de 1968 (concernant essentiellement les services des PT et PTA), l'absence de résultats commençait à peser. Les améliorations obtenues pour les services des professeurs de toutes les classes préparatoires littéraires et les professeurs d'ENSAM et d'écoles d'ingénieurs, ne pouvaient faire équilibre au refus du ministère de mettre en œuvre la promesse d'E. Faure sur les 17 h aux non-agrégés.
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Les heures supplémentaires Depuis longtemps le SNES s'oppose aux heures supplémentaires pour les transformer en postes. Mais ce mot d'ordre a toujours été extrêmement difficile à faire appliquer et il faut alors prendre garde à ne pas montrer du doigt ceux et celles qui acceptent des HS au-delà des deux heures imposables - souvent en les acceptant voire en les demandant - et défendre ceux et celles qui ne souhaitaient pas en faire du tout. Il faut également tenir compte du cas particulier des professeurs des classes préparatoires, qui font parfois beaucoup d'HS, notamment dans les classes scientifiques, en raison des horaires d'enseignement. Pour ces diverses raisons, l'ancien SNES avait toujours hésité entre mettre en avant le refus des HS ou leur revalorisation (Cf. t.1 p. 193 et A. Dalançon, « Heures supplémentaires : un surtravail sous-payé », PdR, n° 21.)
Cette revendication est encore actuelle même si l'efficacité est très relative d'un tel mot d'ordre, qui a surtout une valeur mobilisatrice et pédagogique auprès des parents, pour dénoncer l'imposition de plus en plus fréquente des HS responsables de fatigue supplémentaire, l'ampleur de leur volume global mettant en relief l'insuffisance des créations de postes. Aujourd'hui le ministère veut remettre en cause ce que nous avions acquis en 1999 : une seule heure supplémentaire imposable . |
Nous voulons que ces bulletins soient des outils pour l'action d'aujourd'hui. Alors n'hésitez pas à nous envoyer vos remarques sur ce numéro et/ou vos propositions de sujets à traiter. Le prochain numéro abordera la problématique autour de « mai 68 … quarante ans après, est toujours l'objet d'attaques de la droite ». Commentaires, propositions et idées sont les bienvenus. Si nous avons une aide du SNES en ce qui concerne les locaux, le secrétariat, l'envoi du courrier … il reste que nos ressources propres ne dépendent que des cotisations des adhérents individuels et collectifs que sont les S1, les S2 et les S3. N'hésitez donc pas à contacter vos S1, S2 et S3 pour solliciter leur cotisation à l'IRHSES. Cotisation individuelle (20 €) S1 (20 €) , S2 (40 €), S3 (125 €) |
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Points de Repères - info en format PDF
C'est le bulletin (en général bi-mensuel) de l'Institut de Recherches Historiques sur le Syndicalisme dans les Enseignements de Second Degré. Consultable à l'IRSHES, nous commençons la publication de quelques extraits en ligne
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N° 2 Nous avons besoin de vous : - Portrait de Jacqueline Marchand (André Drubay)
Jacqueline Marchand est née à Paris, le 16 février1910, décédée le 30 décembre 1985, inhumée le 7 janvier1986 à Saint-Aubin des Bois (Eure et Loir). Son père Ludovic Machand, né dans cette commune le 23 février 1870, mort à Paris le 5 avril 1933, était fils de petits cultivateurs. Après avoir fait Khâgne au lycée Henry I, il milita dans les cercles socialistes, participa aux campagnes pour la défense de Dreyfus. En 1910, il entra au Grand Orient de France et fit œuvre de vulgarisation positiviste et rationaliste (1). Jacqueline Marchand fait ses études au lycée Fénélon à Paris et est reçue 1ère au concours d'entrée à l'ENS de Sèvres en 1929. En 1932, elle est reçue à l'agrégation de lettres classiques et est nommée pro-fesseur au lycée de jeunes filles d'Or-léans où elle enseigna quatre ans. Mutée à Paris pour la rentrée d'octobre 1936 au lycée Molière, elle est affectée en 1937 au lycée Fénelon qui fut son établissement jusqu'à sa retraite en 1970. D'après les témoignages de ses anciennes élèves du lycée Fénelon, ses cours étaient "vivants et chaleureux" (2). Attentive aux problèmes des jeunes filles qu'elle avait dans sa classe, elle les aidait à "se construire", grâce à un enseignement "caractérisé par la ri-chesse des connaissances. le travail. la générosité, la rigueur et une confiance dans les gens et dans la vie" (3). Dans l'un de ses premiers articles parus dans la presse syndicale (4), intitulé "sur le latin", elle écrit :"la pensée grecque et le latin qui nous l'a transmise appartiennent au patrimoine essentiel de l'humanité... Les Grecs nous ont enseigné l'esprit critique qui est à l'origine de toutes les révolutions". L'orientation qu'elle donnait ainsi à son enseignement se retrouva dans ses activités militantes. Elle n'adhéra ja-mais à aucun parti politique, mais dès 1933, dans le Loiret, elle participa aux "Comités de lutte contre le fascisme et la guerre" dont elle présida le Congrès départemental en 1934. A partir de 1940-1941, elle fit dans la Résistance un travail de liaison et con-tribua à l'activité clandestine de l'Union Française Universitaire. Révo-quée en Mai 1942 pour avoir refusé de lire à ses élèves une circulaire du Ministre de l'Education Nationale, elle sera réintégrée à la rentrée d'octobre 1944 (5). Dès le début de sa carrière d'enseignante, elle adhère à la Section des professeurs de la Fédération de l'enseignement laïc affiliée à la C.G.T.U. Bientôt elle assume ses premières res-ponsabilités syndicales : elle est char-gée en Octobre 1935 de la rubrique "Tribune de l'enseignement féminin" dans "l'Université Syndicaliste" où elle s'élève contre les discriminations à l'égard des femmes professeurs et où elle les appelle à se syndiquer. Puis elle devient membre du bureau national du Syndicat des professeurs de lycée dans la CGT unifiée en 1936, avant la fusion de ce syndicat dans le SPES (Syndicat des Personnels de l'Enseignement Se-condaire) constitué en Décembre 1937 avec trois autres syndicats de catégorie conférés. Après la Libération en 1944, elle par-ticipe à la création du SNES (Syndicat National de l'Enseignement Secon-daire), membre de FGE (Fédération Générale de l'Enseignement, qui bientôt se dénommera Fédération de l'Education Nationale), affiliée à la CGT réunifiée. Membre suppléante de la Commission exécutive de ce syndicat à la suite de son premier Congrès (Pâques 1945), elle devient membre du bureau national d'avril 1946 à avril 1948, chargée du secrétariat corporatif pour les établissements féminins. Elle prend part activement aux travaux de la Commission pédagogique. En novem-bre 1947, elle est de ceux qui deman-dent à la FEN une décision immédiate pour soutenir le mouvement de grève déclenché par les instituteurs de la Seine afin de faire aboutir le reclasse-ment de la fonction enseignante. Lors de la scission confédérale, elle se prononce pour le maintien du SNES et de la FEN dans la CGT. Après le pas-sage du SNES et de la FEN à I 'autono-mie au début d'avril 1948 - autonomie que Jacqueline Marchand et beaucoup de ses camarades pensaient provisoire, elle est élue membre de la Commission administrative du SNES sur la liste de ceux qui sont en faveur du retour à la CGT (liste qui deviendra ensuite liste B, puis liste "Unité et Action"). Elle le restera jusqu' en 1958. Parallèlement, lorsque s'est consti-tuée la FEN-CGT le 7avril1948, elle en est désignée secrétaire générale. Elle préside au lancement de l'organe de la FEN-CGT. "L'Action syndicaliste Universitaire" dont elle écrit le premier éditorial. Le lien avec la CGT lui parait essen-tiel: "Chaque jour, les enseignants comprennent mieux que c'est seule-ment avec la classe ouvrière, c'est-à-dire avec la CGT, qu'il est possible de défendre et notre situation d'ensei-gnants et l'école laïque et la paix inter-nationale" (6). Conjointement elle a accepté de devenir membre de la CA de la CGT. Elle explique ainsi le sens de cette participa-tion: "Je me sens responsable vis-à-vis de la CGT, des enseignants que je repré-sente" (7). Après que, en Janvier 1954, le bureau politique du PCF eut donné à ses adhérents instituteurs la consigne de renoncer à la double affiliation, elle met un terme à ces deux responsabilités : il est devenu impossible, dans ces conditions, d'appliquer les décisions du Congrès (de la FEN-CGT, décembre 1953). Je ne peux plus me considérer comme habilitée à représenter une organisation Si profondément transformée. Les communistes appliquent naturellement les décisions de leur parti ; ceux qui, communistes ou non, le déplorent comme je le fais moi-même, et déplo-rent encore plus la façon dont elles ont été prises, se refusent, dans leur im-mense majorité à multiplier les divi-sions au sein du corps enseignant". (8) En 1954, tout en demeurant à titre personnel adhérente à la CGT, elle rede-vient membre du bureau national du SNES jusqu' en 1956, puis reste à la CA nationale de ce syndicat jusqu' en 1958. Pour les élections suivantes à cette CA, elle continue de figurer sur la liste B (qui deviendra liste "Unité et Action) mais de façon symbolique, en dernière position. En mai 1964, elle quitte cette position pour être au 13ème rang (sur 30) de liste générale U et A, sans être en situation d'être élue. En Mai 1966, elle laisse sa place sur la liste pour permettre à de nouveaux militants d'y figurer. Cependant, elle demeure membre de la CA de la section académique de Paris sur la liste "Unité et Action" à la suite des élections bisannuelles de Mars 1967 et de Mars 1969, c'est-à-dire jus-qu'à son départ en retraite. L'un des axes prioritaires de son ac-tion fut la défense de l'école laïque: elle y voyait l'éducatrice de la liberté de conscience, d'une pensée autonome, de l'aspiration à la justice et à la fraternité. Avec fermeté, elle s'insurgea contre tout ce qui lui paraissait mette en danger la laïcité. Elle ne cessa de dénoncer les concessions faites à l'enseignement confessionnel, spécialement en 1948-1951 par suite des apparentements élec-toraux entre la SFIO et le MRP. Pour autant, elle refusait "l'anticléricalisme vulgaire..." "le grand danger que court aujourd'hui notre école réside non pas dans les convictions spiritualistes de croyants sincères - pourvu qu'elles ne passent pas le seuil de l'école - mais dans une politique d'asservissement de notre pays." (9) Animatrice de "l'Union Rationaliste" pendant 26 ans (l0)jusqu' à sa mort , elle fit nombre de causeries à la radio, de conférences en France et à l'étranger, d'articles dans plusieurs revues pour faire partager son rationalisme athée, éclairée à la fois par sa connaissance critique des religions et par l'héritage du siècle des Lumières. Son intérêt pour les "grands esprits du XVIII siècle" s'est traduit par sa participation aux travaux de la Société (française et internationale) d'étude du dix huitième siècle, par plusieurs publications et, en dernier lieu, par son contribution à la nouvelle édition des Oeuvres complètes de Voltaire (à la Voltaire Foundation d'Oxford). Peu de temps avant sa disparition, elle avait accepté d'être l'un des membres fondateurs de l'IRHSES.
A. DRUBAY.
(1) Voir dictionnaire Maitron, tome 35, page 285 (2) J. Roume, in "Bulletin des anciennes élè-ves du lycée Fénelon" (1986). (3) Ailette Geistdoeifer, in "Les Cahiers ra-tionalistes" (Avril 1986). (4) in "Université syndicaliste" (Février 1934>. Voir également dans "1 'Université syndicaliste" n' 160, du 1er juin 1957, un autre article de Jacqueline Marchand. intitulé "Les humanistes classiques et la France moderne", pages 9 et 10. (5) Voir Maîtron, tome 35, page 282. (6) in l'éditorial de l'ASU ("ActionSyndica-liste Universitaire", organe de la FEN-CGT, n'3, Octobre 1948. (7) Correspondance de Septembre 1951, in Fonds Jacqueline Marchand déposé à 1'IRH-SES. (8) in "L'enseignant Tarnais" de Juin 1954. (9) éditorial de l'ASU n 10 d'Octobre 1949. (10) in "Les cahiers rationalistes" n' 413 -Avril 1986 "Hommage à Jacqueline Marchand"
SOURCES - Maitron : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français - Tome 35(1989) - "Les Cahiers rationalistes" : revue mensuelle éditée par l'Uni6n rationaliste - Avril 1986 n 413 : "Hommage à Jac-queline Marchand". - "Université Syndicaliste" : .1928-1935 organe de la "Section des professeurs et assimilés de la Fédéra-tion de l'enseignement laïc" affiliée à la CGTU; .1935-1939: "organe de propagande syndicaliste dans l'enseignement" et à partir de Janvier 1938 publication du SPES. - "Action Syndicaliste Universi-taire": De 1948 à 1954 : organe de la FEN-~GT - Fonds Jacqueline Marchand, déposé à l'IRHSES.
En janvier, la F.e.n, la CGT et F.0 sont d'accord pour la reprise de l'action. Cela aboutira à une grève étalée sur 48 heures c'est à dire le 27 janvier pour la F.e.n. et toujours sur la question de la stabilisation . Sous la plume de Jean PET'ITE ,la tendance B publie une tribune libre réclamant l'action immédiate contre FOUCHET , et Pierre DHOMBRES imperturbablement met en relief les actions Fonction Publique. Quelque temps auparavant, André DRUBAY avait également demandé "l'ouverture d'un second front" : " il n'est pas nécessaire d'expliquer que les conditions de travail, de rémunération, de recrutement de maîtres qualifiés, de réforme FOUCHET et de budget sont étroitement liées. C'est donc en envisageant l'ensemble de ces problèmes que nous devons commencer notre campagne, en sachant que notre action devra aller en s'élargissant ". Les directions nationales S.n.e.s. et S.n.e.t sous la pression des faits, du mécontentement des syndiqués et des militants d'autres tendances, décident une consultation sur une plate forme limitée. Celle-ci est uniquement consacrée aux conditions de travail, il n'est pas question de la réforme FOUCHET. La consultation est très technique, fermée et les modalités d'action y sont envisagées pour elles-mêmes. Finalement le mouvement est lancé le 12 février 1965, et la plate-forme commune au Sn.e.s., au S.n.e.t. et au S.n.p.e.n. porte sur les conditions de travail et les réformes, sans solution de continuité, sans que la cohérence entre les deux parties apparaissent en clair. Les militants B étaient intervenus activement pour que soient inclus dans la plate-forme revendicative les problèmes liés à la réforme FOUCHET. Quant aux modalités de l'action, il s'agit d'une grève administrative, modulée de telle sorte que les parents ne puissent pas s'alarmer. Le mouvement recevait l'appui de la F.C.PE, la fédération Lagarde, pour sa part, y était hostile.Dans la semaine du 8 au 13 mars, une lettre est adressée aux parents d'élèves par les trois syndicats. En attendant de voir comment la direction du S.n.e.s. assumerait ses responsabilités dans ces circonstances, les élus B avaient décidé de suspendre leur avis sur le rapport d'activité. 115 donneraient leur réponse plus tard. Finalement au nom des élus de la liste B, André DRUBAY appelle à voter pour le rapport d'activité, car dit-il "nous avons obtenu d'être associés de façon permanente au contrôle et à la direction de l'action" et, d'autre part l'action est importante et engagée sur de bonnes bases, conformément aux vœux des syndiqués. En outre, assurance a été donnée que "tout sera fait pour son extension et son renforcement". La grève se poursuit elle est bien suivie. Le 15 mars, Pierre DHOMBRES titre son éditorial : "Une réforme qui bat de l'aile" , vision quelque peu triomphaliste des choses. Le rapport d'activité est adopté pa r 67 % des voix Pour, 18% Contre et 15 % d'abstentions.
Cependant, dans les établissements, les situations se diversifiaient et se
tendaient. Aucune perspective d'élargissement n'était en vue, les vacances de
Pâques arrivaient avec en ligne de mire pour tous, parents, élèves, enseignants,
la période des examens . D'autre part, le ministère menaçait d'opérer des retenues
de salaire . Indéniablement, avec le troisième trimestre les problèmes que posait
la grève administrative allaient s'aiguiser, et se posait, en particulier, la
question de la grève des examens. Le congrès du S.n.e.t (9-11 avril 1965) décida
d'arrêter le mouvement . Le congrès du S.n.e.s ne parvint pas à prendre une
décision, si ce n'est de lancer une nouvelle consultation individuelle à
la rentrée de Pâques.Les clivages à propos des décisions à prendre ne passaient
pas entre les tendances, mais à l'intérieur des tendances . D'autre part, le
congrès du S.n.e.s. s'adressa à la F.e.n. pour qu'elle prenne l'initiative,
à la rentrée de Pâques, d'une campagne systématique contre le plan FOUCHET,
et qu'elle s'adresse à la CGT et à F.0 afin "qu'ensemble toutes les organisations
ouvrières engagent une action coordonnée" . Les résultats de la deuxième
consultation sont ambigus, son contenu même n'y est pas étranger. 27528 syndiqués
ont répondu, et leurs voix se répartissent de la façon suivante: - pour la poursuite
de la grève administrative : 8363 - contre la poursuite de la grève administrative:
6856 - pour un arrêt national de travail à l'ouverture du débat parlementaire:
3564. Dans ces conditions, le Conseil National décida de maintenir le mot d'ordre
de grève (5-6 mai) et appela à l'unanimité à l'élargissement de la lutte en
multipliant les actions, les initiatives locales, en commun avec les parents.
Le S.n.e.s., le S.n.e.t. et le S.n.p.e.n. décidèrent en commun d'une journée
nationale de défense de l'enseignement public à l'occasion du débat parlementaire,
et affirmèrent leur volonté de poursuivre à la rentrée. Or le 20 mai, le
S.n.e.s. prenait la décision en Conseil National d'arrêter la grève, à la
suite de débats difficiles.
Pourquoi ? Plusieurs facteurs conjugués ont joué en laveur de cette décision
: - les menaces de retenues de salaire ont pesé lourd; - la décision du S.n.e.t.
allait dans ce sens - le troisième trimestre ne permettait pas à la grève administrative
de se poursuivre sans que se pose immédiatement la question des examens; - les
parents d'élèves CORNEC, y compris les responsables, commençaient à lâcher prise.
ils étaient inquiets - il n'y avait aucune perspective d'élargissement- les
résultats concrets étaient inexistants - la situation devenait de plus en plus
confuse dans les établissements.
Cet épisode de la grève administrative mérite d'être examiné de plus près. Visiblement,
la direction autonome s'est lancée dans l'action second degré quand il n'a plus
été possible de faire autrement. Pierre DHOMBRES ayant tout fait pour valoriser
les seules actions Fonction Publique, seules actions d'ensemble menées par la
F.e.n., mais ne portant pas sur les problèmes très spécifiques de l'enseignement.
Pourquoi cette inertie de la F.e.n., cette absence de plan d'ensemble ? Toujours
est-il qu'aucun relais n'a été fourni à la grève administrative, la F.en. hormis
un soutien verbal, n'a pas bougé. A partir de là, il est vrai que la grève administrative,
qui plus est des seuls enseignants du secondaire, avait fort peu de chances
d'aboutir. La grève administrative a aussi pesé lourd dans la suite des événements
au S.n.e.s., elle est sans doute une des raisons de la mise en minorité du rapport
d'activité dans le classique et moderne en 1966 et peut- être au-delà lors du
changement d'orientation.
N° 5 Figures : - Portrait de René Girard (Etienne Camy-Peyret et Alain Dalançon)
René Girard est né le 7 mars 1908. Deuxième
enfant d'une famille de six, il a passé son enfance à Rigné,
village du pays thouarsais, dans le nord des Deux-Sèvres, dont il a gardé
l'accent. L'école de Rigné étant fermée faute d'instituteurs,
en raison de la guerre, le jeune René fait donc 5 Km à pied chaque
jour, matin et soir pour aller à l'école à Thouars où
son père est cheminot. Après le certificat d'études qu'il
obtient en 1920, premier du canton urbain, il passe trois années au Cours
Complé-mentaire Jules Ferry de Thouars puis est reçu 1er au concours
d'entrée à l'école normale d ' instituteurs des Deux-Sèvres
à Parthenay. A sa sortie de l'E.N., il exerce dans plusieurs villages
du nord du département au cours des années 26-27 et 27-28, avant
d'effectuer son service militaire en 28-29 en qualité de sapeur de 2e
classe au 8e Régiment du Génie radio à Tours. Après
un bref retour à son métier d'instituteur en 29-30 à l'école
Jules Ferry de Thouars, là même où il avait été
écolier durant la guerre, il obtient un poste de maître interne
à l'E.N. de St Brieux pour pré-parer le concours d'entrée
à l'E.N.S.E.T. (section Lettres) où il entre en 1931.
Les deux années qu'il passe ensuite à l'Ecole sont riches d'expériences
et de contacts. René Girard, mandaté par ses camarades, va ainsi
rendre visite à Romain Rolland dans sa villa sur les
bords du lac Léman. S'ensuit une correspondance dont le jeune René
retient les leçons : «votre rôle est de former
des hommes qui seront des militants», «L'indépendance
de l'esprit, apprendre à penser seul, au milieu de tous et au besoin
contre tous ... est la plus pure force ; mais cette force se doit au service
de tous».
Le jeune Girard est aussi passionné par les cours de Jean Guehenno
(co-directeur de l935 à l938 avec A. Chamson et A. Viollis de la revue
«Vendredi» soutenant le Front Populaire), professeur à
l'ENSET dans les sections commerciales et scientifiques mais dont les cours
sont également suivis par les littéraires. C'est aussi durant
cette période qu'il adhère au PCF, au cours d'une réunion
où Aragon lui remet en personne sa première carte.
Parti auquel il restera fidèle, sans cependant jamais y occuper une quelconque
responsabilité.
En 1933, René Girard se marie et fait ses premières
armes dans l'enseignement technique à l'Ecole pratique de Maubeuge. Les
journées ... et les nuits sont trop courtes, car René se consacre
à la fois à son métier de professeur et à un travail
considérable de militant auprès de la classe ouvrière qu'il
découvre vraiment dans une région très durement frappée
par la crise. Il est en tête des «marches de la faim»
vers Lille en 1933, il soutient par sa présence et ses discours les grèves
dans la métallurgie en 1934 (notamment celle des hauts-fourneaux de Louvroil),
celle dans le textile à Fourmies en 1935 et la même année
il organise le syndicat des bûcherons CGT de la forêt Mormal et
celui des cheminots d'Aulnoye. En 1936, en liaison avec l'UD-CGT il fait la
tournée des usines occupées en compagnie de son meilleur
ami Anicet Cambier.Il effectue ensuite un voyage en URSS dont il rend
compte dans un meeting au vélodrome de Maubeuge aux côtés
de deux autres orateurs qui ont également fait le voyage chacun de leur
côté : Léo Lagrange et André Malraux.
Militant politique et syndical connu et respecté, il prononce le 14 juillet
1938 un discours au stade vélodrome deMaubeuge, pour soutenir la proposition
du PCF à la SFIO et au parti radical de renouveler leur serment du Front
Populaire du 14 juillet 1935, discours dans lequel il attaque sévèrement
Hitler et le nazisme. Cela lui vaut un blâme et une menace de déplacement
d'office, qu'il évite, en sollicitant sa mutation pour Argenteuil.
René Girard va donc exercer son métier de professeur à
l'EPIC (Ecole Pratique de Commerce et d'Industrie) d'Argenteuil jusqu'à
sa mobilisation, fin août 1939. Il poursuit son activité de militant
syndical du SET (Syndicat de l'Enseignement Technique) et de la CGT
comme celle de militant politique. L'action syndicale est cependant
difficile. Ainsi la grève du 30 novembre 1938 unanimement décidée
dans son établissements fait long feu : devant les menaces d'arrestation
de trois collègues, dont il fait partie, la reprise du travail est décidée
dès la matinée et les élèves rappelés. R.
Girard publie par ailleurs un feuilleton dans le journal local «Le Progrès»
dont Gabriel Péri est le directeur, une «Histoire
de la Révolution française dans Argenteuil et sa région»,
or le numéro de juillet 1939 qui relate la participation des habitants
aux journées de juillet 1789 est saisi et interdit.
René Girard vit la «drôle de guerre»
mobilisé à Grandpré dans les Ardennes, à l'Etat
major de l'aviation, dans la voiture Radio de sécurité. Puis c'est
la «retraite vers le sud» en juin-juillet 1940. Il se retrouve à
Palavas les Flots après une marche de trois semaines au cours de laquelle
il a «perdu» son régiment, II échappe alors à
la colère d'un colonel qui veut le traduire en conseil de guerre déserteur,
grâce à l'intervention d'un officier, ancien élève
de l'ENSET. Démobilisé dès la fin de l'été,
il est présent à nouveau à la rentrée du 1er octobre
1940 à l'EPIC d'Argenteuil. Va immédiatement commencer pour lui
un travail dans l'ombre pour résister à l'occupant et
combattre le régime collaborationniste de Vichy.
Des contacts sont pris avec des collègues d'Argenteuil, des instituteurs.
On se rencontre au bord de la Seine, à l'occasion de parties de pêche,
on tire les premiers tracts sur les ronéos de l'EPIC et on les jette
dans la nuit sur les marchés des environs. René Girard
rencontre souvent G. Péri, jusqu'à son arrestation, dans
une auberge de l'Ile de la Jatte. A la suite d'une opération consistant
à subtiliser au président de la délégation spéciale
(nommé par Vichy en remplacement du maire communiste révoqué)
les tonnes de charbon qu'il se faisait livrer, R. Girard échappe à
l'arrestation grâce à la solidarité active de plusieurs
centaines d'élèves qui l'entourent lors de sa sortie de l'EPIC,
sans que les agents osent l'appréhender. Cet épisode suivi de
sa suspension en mars 1941 puis de sa révocation inaugure
pour lui une période de semi puis totale clandestinité.
Profitant du compartimentage de l'administration, il change de département,
s'installe à Neuilly et grâce à des solidarités multiples
est nommé auxiliaire à Courbe voie (jusqu'à la fin de la
guerre et y compris pendant sa clandestinité, alors qu'il n'assurait
plus aucun cours, il continuera à toucher son traitement). Jusqu'à
la fin de l'année 1942, il réorganise le SNET clandestin,
d'abord au niveau de son établissement. Dans le bulletin de la section
locale, il parle de De Gaulle dont le cabinet à Londres lui attribue
un nom et un numéro : René Girard dit Jacques Poitevin,
matricule PX114. Puis avec Jo Cartailler, professeur d'anglais à
Nogent/sur/Marne, il essaie de faire revivre le SNET au plan national : reconstitution
de sections,diffusion de la presse clandestine, (V.o., Editions de Minuit...)
souscription pour les familles victimes de la Gestapo, puis réseaux pour
faciliter le passage dans le maquis ou la clandestinité des grands élèves
et anciens élèves requis par le STO, contacts avec la CGT et les
fédérations clandestines FGE (Fédération Générale
de l'Enseignement) et FGF (Fédération Générale des
Fonctionnaires).
A partir du début de l'année 1943, René Girard est chargé
de créer et de diriger l'I.B. 11, interbranche n° 11 de l'UD des
syndicats CGT de la Seine, chargée de coordonner l'activité des
syndicats de fonctionnaires. Dès lors, René va laisser à
Jo Cartailler seul la responsabilité du secrétariat général
du SNET clandestin et va entrer dans la clandestinité totale. Grâce
à tout un réseau il est en liaison avec André Tollet
puis Henri Rol Tanguy mais il ne les connaîtra qu'à la
Libération. Il est aussi en contact avec Paul Langevin, Jacques
Duclos et Benoît Frachon. Il participe à des réunions
clandestines dans lesquelles se retrouvent Sénèze, Delamarre,
Roulon (SNI), Lavergne (SNCM), Barrabé (SNESup) et Jo Cartailler (SNET).
On n'y parle pas seulement de résistance mais aussi de réforme
de l'enseignement. Et le n° 1 du Travailleur libre de l'Enseignement
Tech-nique (*) de janvier-février 1944 intitulé «Notre Renaissance»
est un acte de foi dans l'enseignement technique.
L'année 1944 est consacrée à étendre la Résistance
puis à préparer la Libération. En mars, à la demande
de Paul Delanoue, R. Girard rédige par exemple un tract clandestin à
l'adresse de tous les enseignants menacés d'être désignés
pour partir en Allemagne, suivant les instructions du Ministre de l'Education
Nationale, Abel Bonnard. Le tract, intitulé «Nous ne
partirons pas !» stigmatise cette forme de déportation,
appelle à dire non «en accord avec les organisations ouvrières,
les autres fonctionnaires, les parents d'élèves, nos grands élèves...»
En Juillet 1944, l'IB 11 essaie de mobiliser les fonctionnaires pour la manifestation
du 14 juillet à Belleville, où défilent plusieurs milliers
de personnes, protégés par les FTPF.
Le 18 août, en liaison avec le comité départemental de Libération
de la Seine et l'Union des syndicats CGT de la Région parisienne, R.
Girard assure, en tant que président du C.C. de grève insurrectionnelle
des fonctionnaires, la rédaction et la diffusion de l'appel à
la grève générale de tous les fonctionnaires. Le 19, la
grève générale est totale. Le 20, l'IB 11 chasse les miliciens
de Darnand du 10 rue Solférino, ancien siège du syndicat
des fonctionnaires, devenu ministère de l'information. Le même
jour, le ministère de l'Education Nationale est occupé. Le BN
clandestin du SNET y joue un grand rôle. Le professeur Henri Wallon
désigné comme Secrétaire d'Etat par le CNR s'y installe
en attendant l'arrivée du Ministre, René Capitant. Le 21, le colonel
FTPF, René Girard, s'installe rue de Solférino dans la pièce
même qu'occupait Philippe Henriot, récemment exécuté
par les Résistants. Le 24, il fait admettre à Neumeyer (FGF) et
Lavergne (FGE) que le C.C. de grève insur-rectionnelle soit maintenu
tant que Paris ne sera pas totalement libéré.
Après cette libération, va commencer une longue, exaltante mais
parfois difficile période de reconstruction qui commence dès septembre
1944. René Girard participe à la réorganisation du SNET
qui sort de la clandestinité, en tant que secrétaire général
adjoint, aux côtés de J. Cartailler, Ravailhe, Roffy, Lutz. Avec
cette équipe il joue un rôle important pour épurer et reconstituer
l'enseignement technique : les délégations régionales de
la jeunesse de Pétain sont supprimées, les 860 centres d'apprentissage
sont rattachés à l'Education nationale. Le SNET participe à
la com-mission chargée de préparer la réforme de l'enseignement
sous la présidence de Langevin et Wallon. R. Girard
se préoc-cupe surtout de l'avenir de l'enseignement technique. Ce sera
une de ses principales activités militantes au SNET et à la CGT
jusqu'en 1947/48.
Dans la V.O., «servir la France», «l'Université
Libre», il publie plusieurs articles fin 1944-début 1945 où
il défend l'idée force que l'enseignement technique à tous
les niveaux et l'apprentissage doivent constituer un enseignement public national,
ce qui exclut cependant l'idée de monopole.
Son intérêt et ses compétences pour cette question lui valent
d'être désigné en septembre 1945, secrétaire général
de la «commission nationale d'apprentissage» de la CGT, au côté
d'A. Tollet, président de la commission, puis à
l'issue du Congrès de mars 1946 de la FGE (qui prend le nom de FEN)
responsable de la commission «Apprentissage et éducation ouvrière»
de la fédération. Sa principale tâche va donc consister
à participer à l'élaboration des principes d'une vaste
réforme de la formation professionnelle continue et initiale, porteurs
d'un projet de loi de la CGT qui est prêt dès 1946 et qui sera
remis aux groupes parlementaires le 14 mars 1947 (mais ne sera jamais discuté
ni voté).
Du 1 au 5 juillet 1946 se tient le Congrès international des enseignants
à Paris, rue de Montpensier. René Girard figure dans la délégation
de la FEN (Barabé, Melle Cartigny, Marie Louise Cavalier, Paul Delanoue,
René Girard, Janets, Adrien Lavergne, Petit, Vidalene). Le Congrès
retient la Constitution d'un département professionnel de la FSM, la
FISE (voir «l'Enseignement Public» n° 9 de 1946, et le «Populaire»
du 2.7.46.).
L'année 1947 est riche en événements sur le plan syndical.
René Girard confirme son ardent désir de voir fusionner les deux
branches du SNET, des Ecoles et des Centres d'apprentissage, fusion à
laquelle les gens des Centres étaient opposés et qui ne se réalisera
jamais car l'année suivante est celle de la scission de la CGT, la branche
des écoles du SNET choisissant l'autono-mie comme la majorité
de syndicats de la FEN, tandis que le syndicat des centres décide de
rester à la CGT et fonde le SNETP-CGT. Dans de débat,
R. Girard est de ceux qui militent pour que le SNET reste à la CGT. En
janvier 1948 il est signataire avec 10 autres responsables du SNET d'un appel
intitulé «Pourquoi nous ne pouvons quitter la CGT».
Il est bien sûr de ceux qui, quelques mois plus tard, la solution de l'autonomie
«provisoire» l'ayant emportée presque partout dans la FEN,
vont militer ardemment pour le retour à la CGT et, tout en continuant
à militer dans leur syndicat autonome, adhèrent en même
temps à la FEN-CGT. Dès le n° 1 de «l'Action
syndicaliste universitaire» il donne un article sur l'enseignement
technique et dénonce en particulier les options pétainistes des
mesures qu'entend prendre le nouveau Secrétaire d'Etat à l'enseignement
technique, René Morice.
Désormais les «cégétistes» seront
progressivement écartés des postes de responsabilité à
la direction nationale du SNET. R. Girard reste cependant membre du B.N. pour
1949-50 au titre de la liste cégétiste conduite par Philippe Rabier.
Par la suite il n'occupera plus aucune responsabilité dans son syndicat
mais continuera à militer à la ÇA nationale jusqu'en 1951-52
et à la base jusqu'à sa retraite qui intervient en 1969, quelques
années après la fusion du SNES et du SNET qui réalise l'unité
des syndicats des enseignants de second degré dont il avait été
très tôt un chaud défenseur.
Depuis, il lit beaucoup, se livre à quelques recherches historiques.
Il est membre fondateur de notre institut et c'est en partie
grâce à des documents qu'il nous a confiés et à divers
témoignages que nous avons recueillis de lui, que nous avons pu réaliser
cette courte biographie d'un militant du mouvement ouvrier, dont la formation,
le cursus et l'action sont caractéristiques de la période 1930-50
et constituent un exemple pour les générations actuelles.
1990
Etienne Camy-Peyret
Alain Dalançon
N° 6 Diversification : - Tract de syndicalisation au SPES (1938) -
N°
10-11, - La naissance
de la F.E.N. (Alain Dalançon),
N° 12, L'IRHSES institut de formation : - La guerre d'Algérie à travers les manuels d'histoire des classes terminales (Madeleine Guyon, Thérèse Lagoutte, Jacques Pioche et Louis Le Yaouanq) -
N° 16 , M.I.-S.E.
N°
17, 50ème anniversaire
du Statut général des fonctionnaires :
N° 18, Le difficile accouchement du Statut général en 1945-1946
N° 19, - Le plan Langevin-Wallon : une ambition pour l'école (Interview d'Etya Sorel, propos recueillis par Pierre Pétremann)
N° 21, Heures supplémentaires : un surtravail sous-payé :
N ° 22, SNES et SNET face au choix de l'autonomie :- Les témoignages de Fernand Matton, André Drubay, Etienne Camy-Peyret et Pierre Antoninni
N° 23, Et la FEN devint autonome : - Interviews de Maurice Agulhon
N° 24, L'Université Libre : des enseignants dans la Résistance : - Etude sur l'Université libre journal du Front National universitaire (Pierre Pétremann), - " Archives et mémoires étudiantes : sauvegarde et valorisation " (Françoise Chevalier), - Plaisance et Paul Ruff (Alain Dalançon) déc. 2000, 40 p., 15 F. (franco de port)
AUX ORIGINES DE L'UNIVERSITE LIBRE ET DU FNU
Trois hommes et des lycéens
Le premier numéro de l'Université libre est daté de novembre 1940. Dans l'actualité
immédiate de la France occupée, cette date correspond à deux événements intimement
liés, l'arrestation de Paul Langevin* le 30 octobre et la " montée à
l'Etoile " du 11 novembre. L'arrestation de Langevin, comme le rapporte Pierre
Villon (4)*, a été très rassembleuse car le grand savant représentait une
fierté nationale. Elle a touché bien au-delà des étudiants communistes et même
une partie de la bourgeoisie très attachée au sentiment national. La manifestation
du 11 novembre à l'Etoile, manifestation très symbolique d'opposition patriotique
à l'occupation, mit en mouvement une partie de la jeunesse étudiante et lycéenne
de Paris. Cette manifestation fut véritablement un point de départ pour la réalisation
de l'idée d'une union de forces résistantes, notamment au sein de la jeunesse
étudiante et lycéenne parisienne. On va y retrouver en effet des jeunes politisés
et organisés, en particulier des étudiants communistes mais aussi des jeunes
qui réagirent à la base, parfois autour de certains enseignants, comme Edmond
Lablénie*, futur président du FNU. Celui-ci avait lancé au moment de l'invasion,
alors qu'il enseignait au lycée Claude-Bernard, l'idée des " légions de jeunesse
", sorte de " levée en masse " des 15/20 ans devant fournir une réserve immédiate
à l'armée. Si cette initiative fut sans suite, il rédigea cependant un manifeste
avec deux élèves du lycée Claude-Bernard qui fut largement signé dans les établissements
parisiens et qui appelait très clairement à la défense de la patrie. Puis il
lança avec des élèves de Janson une publication ; Notre droit (5) qui marqua
le début d'une presse lycéenne résistante, d'une mobilisation en direction de
la jeunesse et qui fut, par sa diffusion dans les lycées parisiens, un des facteurs
de réussite de la manifestation du 11 novembre 1940. Selon Edmond Lablénie (6),
la mobilisation des enseignants parisiens avait cependant une histoire, commencée
en 1938, lors de la grève du 30 novembre (7) dans l'académie de Paris, une grève
contre " l'esprit de Munich " qui allait conduire à l'acceptation de la défaite
et à la collaboration. Les noms des grévistes qu'il a recensés sont intéressants
pour comprendre l'épisode de novembre 1940 et, au-delà, le pluralisme que l'on
retrouve dans la manifestation du 11 novembre et dans la fondation de l'Université
libre. En outre se manifeste dans cette liste une caractéristique forte de la
composition des futurs comités parisiens du FNU : l'importance des enseignants
du secondaire. L'Université libre provint aussi de l'initiative de trois hommes,
militants du Parti communiste français et universitaires, cet élément n'étant
pas sans importance dans le contexte politique de l'époque. En effet, ces hommes,
Georges Politzer*, Jacques Solomon* et Daniel Decourdemanche*,avaient
accueilli le pacte germano-soviétique, comme bon nombre de militants communistes,
avec la plus grande stupéfaction (8) pour ne pas dire avec une énorme incompréhension.
Même s'ils ne participèrent pas, comme Langevin et Wallon*, à l'appel
des intellectuels français contre le pacte et ne furent pas signataires de la
déclaration de protestation publiée dans l'Oeuvre du 29 août 1939, ils n'en
firent pas moins, dès 1940, une analyse de l'occupation et de la collaboration,
ne découlant pas seulement de l'affrontement des impérialismes mais mettant
en relief les atteintes aux fondements rationnels et humanistes de la culture
française. Ils eurent de ce point de vue une approche relativement différente
de celle de la direction communiste telle qu'on peut la lire dans l'" Appel
au Peuple de France " de juillet 40 (9). Celui-ci, tout en condamnant nettement
le régime de Vichy, en restait en effet à une analyse du conflit comme une lutte
entre les impérialismes et condamnait le rôle joué par la Grande-Bretagne. Cet
appel parlait cependant à plusieurs reprises de l'unité de la Nation et proposait
la constitution d'un " front de la liberté, de l'indépendance et de la renaissance
de la France (10) ". Tout en partageant sans doute une grande part de cette
analyse, il semble bien que des intellectuels comme Politzer et Solomon pesèrent
pour que la direction du parti infléchisse son interprétation du conflit, à
partir d'une appréhension de la situation française, mettant l'accent sur le
thème de l'indépendance nationale et permettant ainsi de renouer avec une stratégie
frontiste antifasciste familière aux militants (11). La naissance de l'UL et
sa poursuite en 1941 paraît bien constituer une des initiatives de ces militants
reflétant bien une telle orientation qui rencontra d'ailleurs assez vite un
écho certain auprès des universitaires, au moins parisiens, choqués par les
initiatives du nouveau régime. Dès ses débuts en effet, le régime de Vichy mena
une propagande très hostile aux enseignants, s'attaqua aux contenus d'enseignement
et à la laïcité. Les enseignants se trouvèrent donc vite en pre-mière ligne
des victimes de la répression : le 30 septembre furent prises les premières
mesures de déplacement et de révocation et le 15 octobre l'ensemble des syndicats
et des associations de fonctionnaires furent dissous. Dans ce contexte, la direction
du PCF décida d'un appel aux intellectuels français (12) par un tract. Georges
Politzer y mit nettement en accusation le régime de Vichy. Puis un groupe se
forma, composé de communistes et de quelques intellectuels anti-munichois issus
du " Comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes ". L'arrestation de
Langevin qui précipita Jacques et Hélène Solomon dans la clandestinité accéléra
les choses et conduisit à la publication du premier numéro de l'Université Libre,
retardé pour l'occasion. Ce premier numéro fut sans doute entièrement rédigé
par Jacques Solomon (Témoignage de Jeanne Gaillard, professeur à Jules Ferry
in l'UL N°105). La riposte aux attaques du régime pétainiste fut donc particulièrement
rapide à Paris dans les milieux universitaires. Pour Paul Delanoue (13)
cela s'explique pour deux raisons, d'une part à cause du nombre d'enseignants
communistes et des possibilités de contact avec l'appareil du parti et d'autre
part - cela fut important pour la suite et la composition future du FNU - parce
que, dans les lycées, l'affrontement entre les ex-unitaires et les ex-confédérés
dans le SPES n'avait que très peu existé, contrairement à la situation dans
le SNI , ce qui permit de s'organiser très vite et de mener des débats dans
un climat de plus grande sérénité (14). La naissance de l'Université libre semble
donc bien provenir d'une conjonction entre des initiatives de militants du PCF
qui étaient, en contact avec la direction clandestine (comme en témoignent les
contacts entre Politzer et Jacques Duclos pour la rédaction de l'appel
aux intellectuels) et d'universitaires qui avaient pour quelques-uns, lutté
contre la politique munichoise d'avant guerre et qui refusaient d'abord la capitulation
nationale. Ces hommes partageaient des idées sur la nécessité d'engager la lutte
pour résister à l'occupation et à la collabora tion, même si les moyens pour
cela étaient peu ou mal définis. On sait également que des initiatives de même
nature furent prises sans qu'il y ait eu la moindre contact entre leurs responsables.
Ainsi Lablénie qui avait été à l'origine d'un projet de mobilisation de la jeunesse
en 1940, rapporta à la Libération qu'il apprit bien plus tard que Politzer,
alors professeur au lycée Marcellin-Berthelot, avait vers la même époque demandée
la " levée en masse de la Nation " (15). Au lendemain de la manifestation du
11 novembre 1940, alors que les facultés étaient fermées à Paris et que le recteur
Gustave Roussy fut révoqué et remplacé par Jérome Carcopino, fut créé le " Comité
de défense des professeurs et des étudiants de l'Université de Paris " qui fut
un élément important dans l'organisation de la diffusion de l'UL. Le comité
de rédaction s'étoffa alors et on y retrouva des anciens élèves de Lablénie
à Janson. Le lien avec le PCF semble bien à l'époque avoir été fait par Marcel
Bonin, (professeur adjoint dans le même lycée) dont Lablénie se rapprocha.
Front national et Front national universitaire : histoire
d'une naissance
Si ce n'est la polémique récente autour de la propriété du nom, on ne peut pas
dire que le " Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la
France " ait fait l'objet de travaux et de recherches nombreuses (16). Il semble
même oublié aujourd'hui par nombre d'historiens spécialistes de la période (17)
ou alors, il est présenté comme un simple appendice du PCF, né d'une opération
politique dans le cadre d'une stratégie de prise du pouvoir. C'est par exemple
l'analyse que développe Stéphane Courtois (18) qui oublie de mentionner la naissance
de l'Université libre en novembre 1940 et fait démarrer la mobilisation enseignante
de la naissance de l'Ecole laïque, journal des instituteurs du Front national
en juin 1941. Pourtant le PCF avait lancé dès novembre/décembre 40 un manifeste
aux instituteurs et institutrices de France, encouragé en cela par la mobilisation
de jeunes instituteurs liés au mouvement des intellectuels et qui, ayant compris
que l'école était un maillon essentiel dans la propagande de Vichy, diffusaient
l'UL et surtout y intégraient des articles sur la situation matérielle de l'école.
Il semble donc bien que la réalité soit un peu plus complexe que ne l'affirment
la plupart des historiens. Les hésitations du PCF, quant à l'attitude à prendre
face à l'invasion du printemps 1940 furent néanmoins bien réelles et s'il existait
bien alors une ligne résistante et anti-fasciste au sein du parti, l'analyse
de la guerre comme un combat entre les impérialismes restait très présente.
La génèse de " l'Appel au Peuple de France " et les controverses sur sa date
de rédaction (postérieur à juillet 1940) sont là pour en témoigner. Mais progressivement,
tout en maintenant l'analyse de la guerre entre impérialismes, le thème de l'indépendance
nationale gagna de plus en plus avec l'idée d'un rassemblement national de front
unique à la base pour mener à la fois la lutte nationale et le combat de classe.
Il y eut ainsi, selon R. Bourderon (19), un cheminement vers la sortie des contradictions,
grâce à la mise en oeuvre de l'objectif et des moyens de réalisation d'un "
Front pour l'indépendance nationale " s'ancrant dans la réalité française. Et
des communistes, tels Politzer, Solomon, Jacques Decour ou Charles Tillon,
n'attendirent pas le " feu vert " donné par l'Internationale Communiste le 1mai
1941 à la constitution de mouvements de libération, pour entrer dans la lutte
clandestine au côté d'autres militants. Notons que ce furent, surtout chez les
intellectuels, des militants venus au communisme par anti-fascisme dans les
années trente. Le Front national tient donc une place originale dans la Résistance.
D'abord parce que c'est la seule organisation qui ait été créée par un parti.
C'est le PCF en effet qui, le 15 mai 1941, créa le " Front national de lutte
pour l'indépendance de la France ". Mais à partir de structures en place et
c'est la seconde originalité du mouvement, de structures à base professionnelles,
chez les enseignants mais aussi chez les magistrats, les médecins, les écrivains
(20)… Dans l'appel à la formation du Front national publié dans les Cahiers
du Bolchévisme (2è et 3è trimestre 1941), le PCF conserve certes l'analyse d'une
guerre entre impérialismes et l'image de l'URSS y est très valorisée. Mais l'idée
d'un retour rapide à la paix domine ainsi que la volonté de création d'un gouvernement
populaire. Pour cela, l'union appa-rait indispensable, d'où l'idée d'un large
front, avec à sa tête la classe ouvrière guidée par son parti. Si Vichy est
condamné, le mot collaboration n'est pas utilisé et la résistance gaulliste
est encore qualifiée de réactionnaire et de colonialiste. Mais dans le cadre
du Front national, à l'élaboration duquel elle a participé, en donnant corps
à son rameau universitaire (FNU), L'Université Libre, - on y reviendra plus
longuement dans l'analyse du contenu - ne se définit jamais comme une presse
d'organisation : dans ses articles l'identité professionnelle est davantage
mise en avant que les orienta-tions et les clivages politiques, en outre la
phraséologie communiste y est absente. Ces structures professionnelles sur lesquelles
reposaient l'organisation des différentes branches du FN étaient pluralistes
par nature, elles étaient composées d'hommes et de femmes, communistes ou pas,
qui y étaient regroupés avant-guerre, dans la lutte sociale et revendicative,
voire dans la lutte politique et qui se retrouvèrent tout naturellement dans
la lutte pour la libération nationale. Certains militants importants restèrent
cependant longtemps en marge de l'appareil du FN, tout en en animant des groupes
professionnels. Ce fut le cas de Lablénie qui ne rejoignit l'organisation du
FN qu'en octobre 1943 pour élargir le nombre des sections de lycées. Il y eut
en fait une grande autonomie d'organisation dont le processus prit du temps.
Cela tenait au climat de l'époque et à la clandestinité. Il faut écarter de
notre représentation l'image d'une organisation centralisée, unifiée et structurée
tout de suite. C'est ainsi que le FNU permit d'adhérer à un autre mouvement
de résistance que le FN et de militer en dehors du cadre universitaire. S'il
ne faut pas nier que le lien FN/PCF a conduit à des hésitations et a parfois
freiné l'élargissement du mouvement, par exemple à certains responsables syndicalistes
enseignants, il faut aussi retenir la large union qui se construisit dans l'université
française, tous personnels confondus au sein du FNU, sans que la pression idéologique
fut omniprésente, la lecture attentive de l'UL en témoigne (21). Une dernière
question se pose : pourquoi une création en mai 1941, et pas plus tôt étant
donnés les contacts existants. La réponse est à donner à plusieurs niveaux différents.
D'abord il fallut tenir compte du degré de la mobilisation. Il semble bien,
pour ce qui concerne le monde enseignant, qu'elle ait été faible et très majoritairement
parisienne jusqu'au printemps 1941, on était encore en pleine période maréchaliste
et le choc de 40 n'était pas dissipé. Enfin il fallut attendre le printemps
41 pour que de nombreux contacts soient pris en particulier en zone sud (22).
Un certain retour de la combativité populaire s'était exprimé lors du 1 er mai
; des intellectuels communistes (Politzer, Solomon, Decour…) poussaient à un
élargissement et à une structuration de l'action qu'ils menaient depuis des
mois. Les accords Hitler/Darlan sur la collaboration militaire entre Vichy et
l'Allemagne, signés le 11 mai, rendaient plus claire la lecture du conflit et
celle du gouvernement de collaboration. Il ne semble pas que l'attaque de l'URSS
par l'Allemagne qui ne débuta que le 22 juin 1941 ait joué un rôle. Ce fut plutôt
la décision de changer de stratégie qui mûrissait depuis un an, confortée par
les directives de l'IC du 1ermai. Enfin, le FN mit longtemps à se structurer,
pas avant la fin de 1942. Les comités de base dont la composition fut toujours
éclectique y jouèrent tout le temps un rôle éminent. Tout cela ne peut être
réduit, comme le dit Henri Noguères (23), à une simple caution au PCF. L'Université
libre :une originalité dans la presse résistante Comme on l'a déjà souligné,
la première originalité de l'Université Libre est la précocité de sa naissance
par rapport au reste de la presse résistante (par exemple Libération date de
décembre 1940). Cependant il y a d'autres éléments à considérer, qui font de
ce journal un cas particulier. Tout d'abord le fait que la parution fut à peu
près ininterrompue de novembre 1940 jusqu'à la fin de la guerre et que le passage
de la clandestinité à l'officialité se fit sans que l'on trouve véritablement
de changement ni dans la pagination ni dans le contenu. Seule la qualité d'impression
évolue pendant la clandestinité, passant de la ronéo à l'imprimerie au début
de 1944. Pendant toute la guerre, le journal fonctionna comme une presse d'information
autant que de propagande. Ce qui permet de suivre les évolutions suivantes du
contenu politique. En 1940 l'essentiel du contenu porte sur le caractère impérialiste
de l'occupation allemande et sur la situation faite au pays par le régime de
Vichy ; à noter des réflexions nombreuses sur la situation et la place de l'URSS.
En 1941, le contenu pose la question de l'intégration de la France dans l'appareil
de guerre allemand. A partir de 1942, l'évolution de la situation, nationale
et internationale, amène les rédacteurs à poser la question des initiatives
militaires et à défendre l'action armée par l'intermédiaire de la branche armée
du Front national, les " Francs Tireurs Partisans de France ". En 1943, c'est
la lutte contre le " Service du travail obligatoire " qui mobilise la rédaction,
autant parce qu'il est une des caractéristiques majeures de la collaboration
que parce qu'il conduit des jeunes à rejoindre les rangs de la Résistance pour
y échapper. A partir de mai 1944, les éditoriaux se partagent entre la mobilisation
pour préparer l'insurrection nationale et les revendications pour l'après guerre,
ce qui constitue l'essentiel du journal en 1945. Petit à petit, au cours de
cette année, l'enthousiasme fait place à l'inquiétude sur la mise en place des
réformes souhaitées et la réalisation des projets élaborés pendant la guerre,
en particulier pour l'école et la culture. Journal de la résistance enseignante,
ou plutôt universitaire, l'Université libre n'est donc pas un journal corporatiste
ni une publication syndicale. On y trouve beaucoup moins d'articles revendicatifs
que dans l'Ecole laïque (24) qui présente davantage une identité instituteur,
sans doute parce que l'UL est d'abord l'affaire des personnels de lycées et
des grands instituts et, à l'intérieur de ceux-ci, de militants qui privilégient
la lutte politique à la défense de revendications immédiates, si justes soient
elles. Lorsque l'UL parle de l'école, c'est en termes généraux, posant des questions
de choix de société et montrant que la collusion entre le gou vernement de Vichy
- et en son sein des ultras collaborationnistes - et l'occupant ne pourra conduire
qu'à la disparition de l'université française. Nous verrons à ce propos le sort
réservé au couple Abetz*/Bonnard*. Enfin ce journal est original, parce qu'il
établit un pont permanent entre le groupe de militants qui animaient le FNU
et fabriquaient le journal et la masse des enseignants - il faudrait dire ici
collègues. C'est ainsi que chaque arrestation, chaque condamnation et bien sûr
chaque assassinat de militants fait l'objet non seulement de dénonciation mais
aussi (et c'est très important pour l'explication du poids du FNU en 1945) d'appel
à la solidarité de toute la profession, gardant ainsi l'esprit qui avait présidé
à la naissance du journal à la suite de l'arrestation de Paul Langevin
(4) Interview par Claude et Germaine Willard
in Cahiers de l'Institut Maurice Thorez N°10 novembre/décembre 1974.
(5) Publication dont le premier numéro date d'octobre 1940. E. Lablénie et un
groupe d'élèves de Claude Bernard puis de Janson en sont à l'origine. Ce journal
était surtout destiné à la jeunesse, il contribua à la mobilisation pour la
manifestation du 11 novembre. Il disparut quand, selon E. Lablénie lui-même,
les conditions avaient changé et que la nature même de la collaboration était
devenue évidente. (Il y eut 11 numéros d'octobre 40 à octobre 41, un 12 eme
numéro a paru en juin 1944 et un 13 ème au début de 1945) (Témoignage de Lacipida
Martial lors d'une séance de travail du groupe FEN/CRHMSS/CNRS le 16/12/1998).
Nombre de ses rédacteurs se retrouvèrent dans l'équipe de l'UL. La liaison entre
E. Lablénie, Notre Droit et l'UL. passe sans doute au lycée Janson par Marcel
Bonin qui diffuse l'UL dans le lycée. (6) E. Lablenie, Aspect de la résistance
universitaire, Bordeaux, 1969.
(7) La grève du 30 novembre 1938 fut lancée contre les décrets-lois Daladier
Raynaud qui remettaient en cause des acquis du Front populaire. Cependant cette
grève fut interprétée comme un désaveu des Accords de Munich de septembre et
les grévistes furent accusés de pratiques anti-nationales. Les grévistes dans
l'enseignement secondaire furent peu nombreux, ils seront d'ailleurs sanctionnés
mais a posteriori, ceux qui furent grévistes pourront faire état de leur clairvoyance
anti-munichoise. E. Lablénie parle en 1947 de la grève " contre Munich ". Cette
approche de la signification de Munich rejoint celle développée avec force dès
le printemps 1939 par le PCF, opposant " l'esprit de Valmy et le rassemblement
anti-fasciste " à " l'esprit de Munich ". Politzer, Solomon, Prenant, Bruhat
écrivirent alors de nombreux articles de vulgarisation dans ce sens. Bruhat
appela ainsi en janvier 39 à repousser " le Munich de l'Histoire " et Polit-zer,
dans un article paru dans les Cahiers du communisme intitulé " La philosophie
des Lumières et la pensée moderne ", unit dans une belle notation " l'esprit
de Munich et le Munich de l'esprit ". (Cité par Roger Martelli dans sa contribution
à Le Parti communiste français des années sombres 1938-1941 sous la dir. de
J.-P. Azéma, A. Prost et J.-P. Rioux, Seuil, 1986).
(8) Voir ce que dit de sa réaction personnelle Paul Delanoue. " Avec stupeur,
le 24 août 1939, à Marseille, au retour d'un voyage en Méditerranée avec d'autres
camarades, j'appris par les titres énormes des journaux la signature du Pacte
germano-soviétique. Cela nous semblait incroyable. A peine avions-nous rejoint
nos domiciles que le Parti communiste était dissous, ses journaux interdits.
De tous côtés, l'administration, le patronat, certains dirigeants syndicalistes
" munichois ", nous sommaient de condamner le Pacte, de condamner l'URSS, de
désavouer toute notre action antérieure(…) Même s'il se posait des questions,
un militant communiste ne pouvait céder à ces injonctions ; c'eût été capituler
". (Le Monde du 24 juillet 1980). Voir aussi la contribution de Jean Maitron
qui va dans le même sens, sur " le déchirement des militants " in Le PCF des
années sombres, op. cité.
(9) L'appel de juillet 40, principalement rédigé par Jacques Duclos, est une
analyse des causes de la guerre mais surtout une condamnation de la politique
menée avant 1939 et depuis l'armistice ainsi qu'un appel à la réaction du peuple
et à son unité autour du PCF. Daté du 10 juillet 40, date symbolique de l'octroi
des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, l'appel est sans doute un peu plus tardif.
accéléra les choses et conduisit à la publication du premier numéro de l'Université
(10) Sur ces questions, voir article de Roger Bourderon. " La politique du PCF
durant l'été 40 ; Humanité clandestine et Appel de juillet ". Cahiers de l'Institut
de Recherches Marxistes. N°5, 2 èmetrimestre 1981.
(11) Sur cette interprétation des contradictions à l'oeuvre dans le PCF en 1940-1941
voir l'analyse de R. Bourderon dans sa contribution à Le PCF des années sombres,
op. cité, intitulée " Une difficile articulation : politique nationale et appartenance
à l'IC ". Que le texte du Komintern à l'intention du PCF, peaufiné à Moscou
le 5 août 1940, interdise toute manifestation de collaboration (voir art. de
Narinski in Communisme, n° 32-34, 1993) sans être véritablement anti-nazi, ne
pouvait sans doute que favoriser une telle évolution.
(12) L'appel aux intellectuels français sort en octobre 1940. C'est un tract
ronéotypé qui, sous la plume de Politzer, condamne le régime de Vichy qui ne
veut, dit-il, pour la France " d'autres destinées que la banalisation ". Il
fut diffusé dans les différents ordres d'enseignement et selon un mode qui servit
ensuite à l'UL.
(13) Paul Delanoue. Les enseignants. La lutte syndicale du Front populaire à
la Libération. Paris, Editions sociales, 1973.
(14) Il est à noter que le SPES (Syndicat des professeurs de l'enseignement
secondaire) adhérent à la FGE et à la CGT fut le seul syndicat enseignant avec
le SET à ne pas exclure les communistes en 1939.
(15) Le 6 juin 1940, Politzer transmit à Anatole de Monzie, ministre des Transports,
les propositions du PCF pour l'organisation de la défense de Paris.
(16) Le seul travail d'ampleur à notre connaissance est la thèse de Daniel Virieux.
Le Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France :
un mouvement de résistance. Période clandestine (mai 41/août 44). Paris VIII
1996.
(17) Dans le très récent Dictionnaire historique de la France sous l'occupation
de Michèle et Jean-Paul Cointet, il n'y a pas de notice sur le " Front national
".
(18) Stéphane Courtois. " Le Front national" in La France des années noires
sous la direction de Jean-Pierre Azéma et François Bédarida. Paris, Le Seuil,
1993, tome 2.
(19) Cf. R. Bouderon, Le PCF des années sombres, op. cité.
(20) Des comités se créèrent chez les médecins autour de Robert Debré, des artistes
(Edouard Pignon, Julien Bertheau, Louis Daquin), des juristes (Joe Nordmann),
des écrivains (autour de Jacques Decour, Jean Paulhan, François Mauriac). Chaque
comité eut sa propre presse, le Médecin français, l'Écran français, le Palais
libre, les Lettres françaises. .
(21) Sur ces questions du rapport entre profession et résistance, voir Daniel
Virieux. " Résistance, profession : un rapport sans histoire( s) " in La Résistance
: une histoire sociale sous la direction d'A. Prost. Paris, le Mouvement social,
éditions de l'Atelier 1997.
(22) Rôle joué par Georges Maranne dans l'organisation du Front national en
zone sud. Parmi les personnalités contactées et ralliées, il y eut entre autres
Justin Godard (radical, il fut maire de Lyon), Victor Basch (président de la
Ligue des Droits de l'Homme) et l'ancien ministre Raoul Dautry.
(23) Henri Noguères dans son Histoire de la Résistance en France, tome II, p.
472, ironise sur le besoin, pour les communistes, de " recruter - dans le FN
- à tout prix quelques ecclésiastiques, des Croix de feu et de grands bourgeois
en vue de cautionner et de dépolitiser - en apparence du moins - leur entreprise
".
(24) L'Ecole laïque est la publication du Front national en direction des instituteurs,
elle ne date que de juin 44. C'est une publication qui fut toujours plus professionnelle
que l'Ul.
N° 25,
Démocratisation : La naissance de l'Université
Syndicaliste (Loïc Le Bors)
La section des
professeurs de la Fédération unitaire de l'Enseignement
La naissance de l'Université syndicaliste La
Fédération face aux " tentations " autonomistes
de ses groupes de jeunes
Mars 2001, 40 p., 15 F. (franco de port)
Au mois de janvier 1928, paraissait le premier numéro de l'Université syndicaliste,
organe de la " section des professeurs et assimilés " de la Fédération unitaire
de l'enseignement. La décision de créer une publication spécialement destinée
à une catégorie d'enseignants n'avait été prise qu'au terme d'une vive discussion
au sein de la direction de cette organisation dont les syndicats départementaux
avaient vocation à rassembler tous les fonctionnaires dépendant du ministère
de l'Instruction publique et dont la revue l'Ecole émancipée avait toujours
été jusque-là l'unique porte-parole. Certes, la Fédération s'est dotée de "
groupes d'études " pour élargir son audience parmi les jeunes, les femmes et
les professeurs, mais leurs bulletins n'étaient disponibles qu'en tant que suppléments
encartés dans l'organe fédéral. Les principaux dirigeants de la Fédération,
dans un premier temps, s'étaient prononcés contre la volonté des animateurs
de la section des professeurs de disposer d'une publication indépendante. Ils
n'étaient pas loin en effet de considérer cette proposition, au grand étonnement
de ceux qui l'avaient formulée, comme une nouvelle manifestation des " dérives
autonomistes " qu'ils avaient déjà cru déceler dans l'orientation mise en oeuvre
par les responsables des groupes de jeunes et qui, d'après eux menaçaient l'existence
même de leur organisation ou tout au moins sa structure de " fédération d'industrie
" à laquelle ils étaient particulièrement attachés. C'est ce contexte qu'il
est nécessaire d'évoquer si l'on veut comprendre pourquoi l'Uni-versité syndicaliste
a bien failli ne jamais voir le jour !
La section des professeurs de la Fédération unitaire de
l'Enseignement
C'est en 1919 que la Fédération nationale des syndicats d'instituteurs (FNSI), affiliée à la CGT, décide d'ouvrir ses rangs aux autres " travailleurs de l'enseignement " et de se transformer en Fédération nationale des syndicats de membres de l'enseignement laïque, plus communément appelée Fédération de l'enseignement. Certes, les professeurs ne se bousculent pas pour rejoindre en masse une organisation restée fidèle au syndicalisme révolutionnaire et qui s'apprête à voter son adhésion à la III ème Internationale! Mais même cette catégorie d'enseignants est touchée par le vaste mouvement qui voit des centaines de milliers de salariés affluer à la CGT. Les nombreuses associations qui étaient nées avant-guerre dans l'enseignement secondaire se posent le problème de leur éventuelle transformation en syndicats et certains de leurs membres n'hésitent pas à franchir le pas en proclamant leur intention de venir renforcer les rangs de la seule organisation enseignante partie prenante depuis 1910 du syndicalisme ouvrier confédéré. Parmi eux, Ludovi Zoretti, professeur à la faculté de Caen, pour qui cet élargissement de la Fédération des syndicats d'instituteurs aux autres enseignants doit essentiellement " préparer l'avenir " en affirmant la supériorité de la " fédération d'industrie " en tant que seule structure syndicale capable de lutter efficacement contre les dérives corporatistes. L'année suivante, la Fédération édite à plusieurs milliers d'exemplaires un tract national invitant " les professeurs, les répétiteurs, les maîtres d'internat... à rejoindre ses syndicats pour faire cause commune avec le prolétariat dans la CGT " tout en leur laissant la possibilité de continuer, s'ils le désirent, à faire partie de l'association corporative dont ils sont membres. Malgré cette concession, le nombre des adhésions individuelles de professeurs reste peu élevé, de l'ordre de quelques dizaines. Certains syndicats issus de ces associations, envisagent aussi de rejoindre la Fédération. Les instances dirigeantes de celui des répétiteurs de collèges, souvent considérés comme les " prolétaires " de l'enseignement secondaire, adoptent même le principe de son adhésion à l'organisation confédérée. Mais l'échec des grèves de 1920 et la répression antisyndicale qui le suit dissuadera ses responsables de rendre effective cette décision. Cette tentative d'implantation parmi les enseignants du secondaire ne survit pas à la défection de son initiateur, Ludo-vic Zoretti qui, en 1922, choisit de rester dans la CGT, où il contribue à créer un syndicat des membres des enseignements secondaire et supérieur alors que la Fédération de l'enseignement, après avoir animé le combat de la minorité confédérale, participe à la fondation de la CGTU. La perspective de la mise en place d'une section des professeurs en son sein dans un avenir proche n'est plus à l'ordre du jour. Cela ne semble pas particulièrement préoccuper les responsables de la Fédération qui n'ont jamais cru à la possibilité de s'implanter dans ce milieu qu'ils jugent particulièrement imperméable à leurs idées. Fidèles à leurs conceptions syndicalistes révolutionnaires, ce qui ne les empêche pas d'adhérer pour la plupart au parti communiste, ils restent persuadés que seule une " avant-garde " des instituteurs peut rejoindre dans l'immédiat les rangs d'une organisation qui prône " l'action directe " et n'hésite plus à envisager un éventuel recours à la grève. Leur profonde méfiance pour ne pas dire leur hostilité à l'égard de l'enseignement secondaire, considéré comme la quintessence de " l'enseignement de classe " de la bourgeoisie, n'épargne pas ceux qui y exercent : " Nous savions que les sympathisants du syndicalisme étaient, toutes proportions gardées, encore moins nombreux dans les autres catégories universitaires que chez les instituteurs " ( Louis Bouët, Le syndicalisme dans l'enseignement, Grenoble, Institut d'études politiques, 1966, tome II, p. 135) . La Fédération ne compte alors que quelques dizaines de professeurs dans ses rangs dont bon nombre d'ailleurs, exercent dans une école primaire supérieure ou une école normale d'instituteurs. Mais en 1926, certains d'entre eux affirment que la situation a évolué depuis l'immédiat après-guerre et que la création d'un groupe d'étude de la Fédération dans le secondaire est de nouveau à l'ordre du jour. Les principales associations catégorielles de ce secteur, et en particulier la plus puissante, celle regroupant les professeurs de lycée, ne viennent-elles pas de se transformer en syndicats et n'ont-elles pas menacé de recourir à " méthodes d'action directe " pour faire aboutir leurs revendications salariales et stopper ainsi l'érosion de leur pouvoir d'achat mis à mal par la poursuite de l'inflation ?
La naissance de l'Université syndicaliste
Georges Cogniot ne tarde pas à tirer la leçon de l'événement : " la grève du
baccalauréat ne peut être considérée que comme l'indice d'un changement de mentalité
et d'une orientation nouvelle, ou plutôt comme le signe d'un besoin d'une orientation
nouvelle " Les propositions des professeurs de la Fédération rencontrent un
certain écho, notamment auprès du syndicat des maîtres d'internat. Le comité
se renforce et décide peu avant témoins de ce qu'ils n'hésitent pas à nommer
la " prolétarisation " du personnel de l'enseignement secondaire, estiment donc
que l'heure est venue pour la Fédération de se tourner sans a priori vers ces
enseignants qui, en désespoir de cause, en viennent à envisager des formes d'action
utilisées jusque-là par la classe ouvrière (Georges Cogniot in La Fédération
unitaire de l'enseignement, Paris, Maison des syndicats, 1929, p. 70.) .
Plus jeunes que la plupart des dirigeants de la Fédération, ils ont commencé
à enseigner après la guerre et leur engagement syndical n'est que la conséquence
de leur adhésion au Parti communiste. Beaucoup moins influencés par le syndicalisme
révolutionnaire d'avant-guerre que les responsables de la Fédération, ils n'éprouvent
aucune réticence à s'adresser à la " masse " de leurs collègues du secondaire.
A leur initiative, la Fédération diffuse à plusieurs milliers d'exemplaires
un tract destiné à toutes les catégories de professeurs, de l'EPS à l'enseignement
supérieur en passant par le technique. Le comité des professeurs commence à
se structurer, sous l'impulsion notamment de Georges Cogniot qui ne va pas tarder
à y jouer un rôle prépondérant. En juin 1926, un nouveau pas est franchi avec
la parution du premier numéro du bulletin de ce comité encarté dans l'Ecole
émancipée. Le 5 août, à la veille du congrès de la Fédération, 12 délégués participent
à sa première conférence. Ils adoptent une plate-forme revendicative destinée
à servir de base aux propositions " de front unique " qui seront adressées aux
autres organisations syndicales et en particulier au " syndicat Zoretti " membre
de la CGT. L'accent y est mis notamment sur l'exigence de la communication intégrale
des dossiers individuels par l'administration, sur la demande de création d'un
comité académique paritaire unique et surtout sur la perspective d'un " traitement
unique " pour tous les membres d'une même catégorie. Depuis 1917, ce dernier
objectif constituait la principale originalité du programme corporatif de la
Fédération. Mais sa mise en oeuvre n'était prévu que pour les seuls instituteurs
: il s'agissait, en préconisant à terme un même traitement pour tous indépendamment
de leur âge, de leur lieu d'exercice et plus encore de leur " mérite ", de mettre
un terme à toutes les divisions qui, trop souvent, rendaient leurs luttes inefficaces.
Les professeurs unitaires reprennent à leur compte le principe du " traitement
unique " sans pour cela remettre en cause, dans leur programme tout au moins,
la hiérarchie catégorielle de l'enseignement secondaire. La plate-forme du comité
des professeurs est entérinée par le congrès fédéral, seul habilité à prendre
des décisions, de même que la composition de son bureau dont Georges Cogniot
assure le secrétariat. Il devra fonctionner en tant que " groupe d'étude et
propositions " au sein de la Fédération et seuls les syndiqués unitaires peuvent
en faire partie. En ce mois d'août 1926, celle-ci ne regroupe qu'une petite
centaine de professeurs, toutes catégories confondues, qui ne représentent que
3 % des effectifs fédéraux. Mais le comité fait preuve d'un indéniable dynamisme
pendant l'année scolaire 1926-1927. Il faut dire que les événements semblent
confirmer l'analyse de ses responsables. En juin 1927, le syndicat des professeurs
de lycées, poussée par une base exaspérée par le refus du gouvernement de revaloriser
les traitements dans l'enseignement secondaire, appelle ses adhérents à " démissionner
" des jurys du baccalauréat. Son mot d'ordre est massivement suivi, et même
si le gouvernement parvient, en faisant appel aux enseignants du supérieur,
à organiser malgré tout cet examen dans les conditions acceptables, ce mouvement
n'en constitue pas moins le premier recours à " l'action directe " dans l'université.
Cet épisode a un énorme retentissement sur le congrès fédéral de 1927 de se
transformer en " section des professeurs et assimilée de la Fédération unitaire
de l'enseignement ". Des comités académiques sont créés d'abord à Paris et à
Grenoble puis à Besançon, à Aix-Marseille, à Rennes et à Bordeaux. Mais ces
résultats encourageants ne doivent pas faire oublier que les professeurs unitaires
sont encore très peu nombreux et concentrés dans un nombre limité de départements
; ainsi, un quart d'entre eux exercent dans la région parisienne. Les responsables
de la section veulent donc élargir son audience et pour cela disposer d'un outil
de propagande efficace, ce que ne peut pas être le bulletin encarté dans l'Ecole
émancipée : la revue fédérale est essentiellement conçue pour les instituteurs
et sa partie pédagogique leur est exclusivement destinée. Georges Cogniot et
ses camarades en arrivent donc à la conclusion que la section doit entreprendre
dans les plus brefs délais la publi-ation d'un organe spécifique et vendu indépendamment
de l'Ecole émancipée. En novembre 1927, ils transmettent cette proposition au
bureau fédéral. Mais ils se heurtent alors au veto catégorique de Maurice Dommanget,
le secrétaire général de la Fédération depuis un an. Cette fin de non-recevoir,
qui surprend quelque peu les responsables de la section dont les initiatives
avaient toujours reçu jusque-là le soutien de la direction fédérale, est une
conséquence indirecte du conflit qui, depuis plusieurs mois, oppose ce dernier
à la direction des " Groupes de jeunes " de la Fédération, accusée de " dérives
autonomistes ".
La Fédération face aux " tentations " autonomistes
de ses groupes de jeunes
Ces groupes ont été créés à l'origine pour aider les syndicats de la Fédération
à surmonter les difficultés qu'ils éprouvent à s'implanter parmi les jeunes
enseignants du primaire. La plupart de ces syndicats sont en effet dirigés par
des instituteurs ruraux et comptent très peu de militants dans les villes où
se trouvent les écoles normales et où les maîtres commencent en général leur
carrière. Ils ont donc laissé le champ libre aux sections du SN et des chefs-lieux
des départements. Geoarges Cogniot a depuis les premiers temps de son mandat
de secrétaire général cherche le renforcement de la Fédération et la création
de syndicats unitaires dans les départements, une trentaine environ en sont
encore dépourvus. Son organisation se trouve en effet depuis quelques années
dans une véritable impasse stratégique : sa faiblesse numérique, moins de 5
000 adhérents, ne lui permet ni de se lancer seule dans une " action directe
", ni d'imposer ses propositions de " front unique " à un SN fort de ses 70
000 membres. Il faut donc rendre moins inégal le rapport de force entre les
deux organisations et ainsi contraindre le syndicat confédéré à changer d'attitude
à l'égard de la Fédération. Celle-ci, sous l'impulsion de Maurice Dommanget,
s'est donc lancée dans une vaste campagne de meetings, les plus unitaires possibles,
sur le thème de la " défense de l'école laïque et de ses maîtres " frappés par
la répression qui touche particulièrement les militants unitaires. Presque tous
les syndicats départementaux ont répondu à l'appel de leur secrétaire fédéral
qui est parvenu à vaincre le scepticisme initial de certains de leurs dirigeants.
La minorité syndicaliste révolutionnaire, qui entend combattre la " colonisation
" de la CGTU et de la Fédération par le Parti communiste, n'a pas hésité à participer
à l'effort commun. Le succès rencontré par cette campagne d'agitation, que vient
confirmer la progression non négligeable des effectifs fédéraux pendant l'année
scolaire 1926- 1927, a détendu quelque peu l'atmosphère au sein d'une organisation
où les luttes de tendance ont toujours été vives. Maurice Dommanget ne peut
donc que s'opposer aux " tendances autonomistes " qu'il croit déceler dans la
stratégie impulsée par les responsables du Comité central des groupes de jeunes
qui, de surcroît, se refusent à envisager la création de syndicats unitaires
dans certains départements sous prétexte que les groupes de jeunes correspondants
ne survivraient pas au départ ou à l'exclusion du SN des militants qui les animent.
Il le fait d'autant plus que ces responsables trouvent en Léon Vernochet, le
secrétaire de l'Internationale des travailleurs de l'enseignement (ITE), un
allié de poids qui les encourage de plus en plus ouvertement à résister aux
pressions de la direction fédérale. L'ITE, qui a vu le jour en 1920 à l'initiative
de la Fédération, n'appartient pas à l'Internationale syndicale rouge (ISR)
de Moscou et regroupe aussi bien des syndicats d'obédience communiste, dont
la Fédération panrusse des travailleurs de l'enseignement, que des organisations
" réformistes " telles que la Centrale du personnel enseignant socialiste de
Belgique. Cette sont devenus très rapidement les fiefs incontestés de cette
organisation. Les groupes de jeunes doivent donc contribuer à remédier à cette
situation préoccupante pour l'avenir en adaptant la propagande fédérale aux
normaliens et aux instituteurs débutants et les aider à élaborer leurs revendications.
Ils ont aussi pour mission de " former " et d'aguerrir les jeunes militants.
Contrairement à la section des professeurs, ils sont ouverts aux syndiqués du
SN et aux non-syndiqués. Leurs représentants assistent chaque année à un congrès
qui se tient la veille de celui de la Fédération. Un " comité central ", dont
les responsables changent tous les deux ans comme l'exigent les statuts fédéraux,
coordonnent leur action. Les premiers groupes de jeunes voient le jour dès 1920
et leur nombre ne cesse de croître les années suivantes. On en compte 34 en
1925 et 47 deux ans plus tard, regroupant plus de 2 000 adhérents dont seule
une minorité est syndiquée à la Fédération. Cette progression s'explique en
grande partie par l'intérêt qu'a suscité leur propagande en faveur du " traitement
unique " dont l'application entraînerait un relèvement substantiel du salaire
des jeunes instituteurs. Souvent, les effectifs de ces groupes sont largement
supérieurs à ceux des syndicats unitaires auxquels ils continuent cependant
d'être subordonnés. Dans un certain nombre de départements où la Fédération
n'est pas représentée, des groupes se sont malgré tout créés, regroupant essentiellement
des membres du SN. Ils s'efforcent de se faire reconnaître officiellement par
les sections locales de ce syndicat. Bien que celui-ci se soit prononcé contre
l'existence même de tout " groupement catégoriel " en son sein, ils arrivent
parfois à leur fin. Le comité central poursuit le même objectif au plan national.
Mais comment peut-on espérer obtenir des dirigeants du syndicat confédéré un
changement d'attitude à l'égard des groupes de jeunes si ceux-ci restent statutairement
rattachés à la Fédération ? De là à remettre en cause cette affiliation, il
n'y a qu'un pas que certains de leurs responsables n'hésitent pas à franchir.
Maurice Dommanget, soutenu par les autres membres du bureau fédéral, repousse
avec véhémence une telle perspective qui va directement à l'encontre de l'orientation
qu'il impulse Le 1 er numéro de l'US.v spécificité lui vaut d'occuper une place
de choix dans l'offensive menée par l'Internationale communiste et l'ISR en
direction de la Fédération syndicale internationale d'Amsterdam sur le thème
du rétablissement de l'unité syndicale au niveau mondial. L'ITE doit démontrer
que cet objectif peut être atteint dans un secteur aussi important que celui
de l'enseignement. Il lui faut pour cela obtenir l'adhésion du SN français,
l'organisation " réformiste " enseignante la plus représentative en Europe.
Pour parvenir à ses fins, Léon Vernochet compte essentiellement sur l'aile "
gauche " de ce syndicat qui, dans certains départements, est principalement
animée par des militants communistes également membres, en tant que syndiqués
isolés, de la Fédération. Hors Maurice Dommanget s'efforce de convaincre ces
derniers de créer dans les plus brefs délais des syndicats unitaires même si
cela doit se traduire par leur exclusion du SN. Léon Vernochet ne peut évidemment
pas accepter une telle éventualité. Il est donc amené à encourager tous ceux
qui, dans la Fédération, et en particulier les dirigeants des groupes de jeunes,
s'opposent plus ou moins ouvertement à l'orientation impulsée par Maurice Dommanget
pour qui le développement d'une " gauche " dans le SN est incompatible avec
le développement de l'organisation unitaire de l'enseignement. Dès lors, le
conflit est inévitable. Louis Bouët, ancien secrétaire général de la Fédération
et responsable de l'Ecole émancipée depuis 1921, partage pleinement l'analyse
de Maurice Dommanget, de même que Joseph Rollo qui, après avoir été à la tête
du bureau fédéral de 1924 à 1926, dirige la fraction communiste de l'enseignement
dont Léon Vernochet et les dirigeants du Comité central des groupes de jeunes
font également partie. Les relations entre les deux groupes de militants ne
cessent de se dégrader tout au long de l'année 1927. Aucun aspect de l'activité
fédérale n'échappe aux critiques des responsables des groupes de jeunes et Léon
Vernochet enregistre avec un plaisir non dissimulé la progression, d'un congrès
du SN à l'autre, des partisans de l'adhésion à l'ITE. Les divergences s'approfondissent
mais seul un petit nombre de responsables de la fraction, qui jouit dans le
Parti d'une grande autonomie, participent réellement à ce débat pourtant fondamental
pour l'avenir de la Fédération. Il n'est donc pas étonnant de voir Maurice Dommanget
s'opposer avec vigueur, lors de la réunion du bureau fédéral du 24 novembre
1927, à la proposition formulée par Georges Cogniot, qui par ailleurs est responsable
depuis plus d'un an du Bulletin de l'ITE, et Maurice Husson, de doter la section
des professeurs d'un organe spécifique. Pour le secrétaire fédéral, il est évident
que ceux-ci veulent faire " comme les jeunes, cavalier seul " et que leur suggestion
constitue une nouvelle menace pour l'existence même de la Fédération : " Tous
ces groupements mènent plus ou moins à l'autonomie " (5) . Le bureau fédéral
ne peut que constater le désaccord et décide de porter cette question à l'ordre
du jour du Comité fédéral, l'instance délibérative de la Fédération, qui doit
se tenir le 29 décembre. Tous les professeurs unitaires sont persuadés du bien-fondé
de leur demande, quelle que soit par ailleurs leur tendance ou leur appartenance
politique. Mais à la réunion du comité fédéral, Maurice Dommanget réaffirme
son hostilité au lancement d'un organe indépendant de la section, d'autant plus
que celui-ci ne pourrait paraître qu'avec l'aide financière de la Fédération,
ce qu'il se refuse à envisager étant donné l'état de la trésorerie fédérale.
Louis Bouët fait part de ses craintes quant à l'avenir de l'Ecole émancipée
si cette proposition était acceptée. Maurice Husson s'efforce au contraire de
démontrer que le développement de la section dépend de la parution d'un organe
adapté aux particularités de l'enseignement secondaire et de son personnel.
L'intransigeance de Maurice Dommanget surprend quelque peu peu les autres membres
du comité fédéral qui, pour la plupart, et pas seulement les représentants de
la minorité, ont été maintenus à l'écart de la controverse opposant depuis plus
d'un an la direction fédérale à Léon Vernochet et aux responsables des groupes
de jeunes. Aussi le secrétaire général, quelque peu isolé, se trouve obligé
d'accepter un compromis qui donne en grande partie satisfaction à Maurice Husson
: " Un bulletin mensuel des 2et 3e degrés de quatre pages continuera d'être
encarté dans l'Ecole émancipée mais les fonds rendus disponibles par la réduction
du nombre des pages seront versés par le trésorier à la section des professeurs
en vue de l'édition d'un bulletin séparé " . La section des professeurs aura
donc son organe indépendant. Encore faut-il lui trouver un titre et désigner
ses responsables. C'est Maurice Husson qui propose et fait adopter l'Université
syndicaliste. Georges Cogniot en assurera le secrétariat de rédaction et Lucien
Hérard, professeur à l'école primaire supérieure de Besançon, l'administration.
A la fin du mois de janvier 1928, paraît le premier numéro d'un journal promis
à un bel avenir ! Mais sa difficile gestation reflète bien les difficultés éprouvées
par la Fédération de l'enseignement à préserver sa structure de fédération d'industrie
sans pour cela remettre en cause les différents groupes d'études dont elle s'est
dotée pour adapter ses mots d'ordre et sa propagande aux différentes catégories
d'enseignants qu'elle s'efforce de toucher. D'autant plus que ce problème interfère
de plus en plus avec la question fondamentale à laquelle ses responsables sont
confrontés depuis l'immédiat après-guerre : que faire face à un SN dont les
prétentions hégémoniques s'affirment avec de plus en plus de force au fil des
années ? Les divergences apparues au sein de la fraction n'ont pas disparu avec
le lancement de l'Université syndicaliste, bien au contraire ; leur approfondissement
provoquera l'année suivante une crise ouverte parmi les militants de cette fraction
au terme de laquelle la majorité d'entre eux, au moins parmi les instituteurs,
seront exclus ou quitteront le parti tout en continuant à diriger la Fédération
de l'enseignement. En revanche, la plupart des professeurs unitaires, avec à
leur tête Georges Cogniot, resteront fidèles au PC et contribueront à animer
la " minorité oppositionnelle révolutionnaire " (MOR) qui s'alignera sur les
positions défendues par la direction de la CGTU. L'Université syndicaliste deviendra,
jusqu'à la réunification syndicale de 1936, l'un des organes de cette minorité
avant de devenir à partir de cette date le journal du Syndicat des professeurs
de lycées affilié à la CGT, puis, en 1938, du syndicat des personnels de l'enseignement
secondaire et enfin, après la guerre, du SNES.
N° 28, La laïcité, une idée neuve , (éditorial, A Dalançon)
p. 2 De quelques thèmes fondamentaux p. 6 Repères chronologiques p. 26 Vie de l’Institut
Nouvelle série, novembre 2005, 28 p., 3 €. (franco de port)
En France, plus qu’ailleurs, le contrôle de l’éducation par l’Ecole a été, depuis l’époque
moderne, un enjeu social et politique déterminant, lié à la nature de l’Etat et de ses diverses
fonctions. Débats et combats autour de la laïcité - ce terme intraduisible dans les autres langues
- résument une part essentielle de cet enjeu au cours des deux siècles écoulés.
La laïcité constitue un facteur d’identité pour la nation, pour les républicains, pour la gauche, mais
elle comporte de multiples facettes et donne matière à des interprétations diverses, au demeurant
fluctuantes. En effet, si la laïcité repose sur un certain nombre de principes que ses défenseurs considèrent
comme invariants et de portée universelle (c’est à la fois un idéal, un principe, un esprit, une
démarche, une morale, des valeurs…), ce sont aussi des réalités et une histoire en construction permanente
et non linéaire. Le résultat d’un processus de laïcisation (*) mais jamais un aboutissement
définitif, car se posent constamment de nouveaux problèmes, les plus visibles aujourd’hui - les
signes religieux - ne devant pas cacher les autres, tout aussi déterminants voire plus.
Depuis les origines du syndicalisme enseignant, la défense de la laïcité est son socle identitaire. Un
syndicalisme certes de plus en plus éclaté, mais on pourrait dire que la laïcité, c’est ce qui divise le
moins. Même le SGEN s’en est réclamé dès ses origines, il disposait en effet d’un statut dérogatoire
dans la confédération chrétienne la CFTC, quand il fut créé en 1937.
Le syndicalisme enseignant - et tout particulièrement celui dont se réclame le SNES – a pris une part
tout à fait déterminante dans la définition de la laïcité, sa défense et les combats qu’elle a occasionnés,
qui ont mis en mouvement des masses (la plus importante pétition du siècle en 1961, parmi les
plus importantes manifestations du XXe de la part des deux camps en 1983-84 ou 1993-94…).
Et pourtant curieusement, ceux qui dissertent sur la laïcité – il n’en manque pas en cette année du
centenaire de la loi de 1905 – s’intéressent peu à ce que les syndicats ont pu dire ou faire, minimisent
leur impact voire l’ignorent. Nous n’avons pas la prétention de combler ce vide mais simplement
de procéder à quelques rappels pour éclairer la réflexion des enseignants et des syndicalistes
confrontés aux enjeux anciens et nouveaux de la laïcité. Ne serait-ce que pour permettre aux plus
jeunes – et pour rappeler aux moins jeunes – la signification des dernières motions laïques des
congrès du SNES, où l’on trouve le résumé d’un siècle d’histoire au moins.
Après une analyse thématique des principaux composants fondamentaux de la laïcité – difficile à
faire tant ses différentes dimensions sont imbriquées -, nous proposons de voir comment ils ont été
interprétés, agglutinés différemment, quelles revendications ils ont produit et à quelles actions ils ont
conduit, ceci à des moments repères, pour apprécier le poids des continuités et des adaptations aux
problèmes nouveaux. Ce qui aidera à comprendre ce que le SNES a partagé avec les autres organisations
laïques mais parfois avec des approches particulières voire originales.
Alain Dalançon
(*) Baubérot identifie dans ce processus de laïcisation différentes étapes : après deux périodes, marquées par deux«seuils de laïcisation», la laïcité française est maintenant «atteinte par un 3e seuil aux caractéristiques sécularistes» depuis les années 1980, dont la 1ère affaire des foulards en 1989 est selon lui comme une sorte de révélateur.
Les deux premiers seuils correspondent : • à la Révolution française ou plutôt lors du 1er Empire qui enracine
la sécularisation de l’Etat : Code civil, contrôle de l’Eglise par le Concordat et création de l’Université. • aux
lois scolaires des années 1880 qui enracinent la laïcité de l’Ecole et à l’aboutissement de la loi de 1905 qui sépare
définitivement l’Etat des Eglises. (Baubérot Jean, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Seuil, 2005)
N° 29 Le nouveau SNES a 40 ans, (Claudie Martens, Alain Dalançon)
Histoires de fusions : la naissance du SNES.
Nouvelle série, mars 2007, 16 p., 3 €. (franco de port)